Nous sommes un groupe de juristes québécois et nous sommes inquiets. Inquiets car les événements récents démontrent que le droit de manifester devient de plus en plus précaire. Inquiets car les forces de l’ordre ne semblent pas avoir été mandatés pour maintenir l’ordre mais plutôt pour faire avancer un agenda politique imposé par le pouvoir politique en place.
Le dictionnaire « Le Petit Robert » définit la terreur comme étant « la peur collective que l’on fait régner dans une population afin de briser sa résistance ».
Les agissements des corps policiers dans les manifestations étudiantes ressemblent plus à des manœuvres pour décourager l’implication militante et politique de nos étudiantes et étudiants que le maintien de la paix.
Que ce soit par l’omniprésence de l’escouade anti-émeute, stationnée en permanence près des pavillons de l’UQAM ou par l’utilisation des gaz lacrymogènes, du poivre de cayenne, des grenades assourdissantes, des coups de matraques, tout l’arsenal policier est mis à contribution contre une partie de la population civile qui ne présente aucune menace pour la sécurité d’autrui.
Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les forces policières qui nous inquiètent. Nous sommes aussi très concernés par l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire pénal qui agit comme complice de ce climat de terreur par des perquisitions de locaux d’associations étudiantes, des détentions longues ou des accusations disproportionnées lors d’infractions mineures.
Le message des autorités policières et judiciaires nous semble de plus en plus clair. On ne vise pas à assurer la sécurité des êtres mais plutôt à briser un mouvement important qui prend de l’ampleur et suscite de plus en plus d’appui de la part de la société civile.
De plus, nous remarquons une tendance vers le profilage politique des manifestantes et manifestants et de leur cause afin d’employer des tactiques répressives accrues lors de manifestations qui heurtent les sensibilités personnelles du corps policier. Comment expliquer autrement le message passé dans les médias par le responsable de la sécurité publique au comité exécutif, Claude Trudel, demandant aux étudiantEs de ne pas se joindre à la manifestation contre la brutalité policière au motif que ça risquerait de dégénérer, et ce, quelques jours à peine suivant un incident où les forces de l’ordre ont blessé un étudiant très gravement à l’oeil? Il est évident qu’à date, les actions les plus violentes, démesurées et dégénératives de climat proviennent de la police elle-même. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que c’est peut-être c’est la police qui devrait s’absenter de cette manifestation afin d’éviter les dérapages.
En ce 15 mars, nous dénonçons les abus et la brutalité policières sous toutes leurs formes et nous invitons tous et toutes à faire de même. Nous décrions aussi que ces abus et cette violence soient faits en toute impunité et soient cautionnés par les autorités politiques et judiciaires.
En théorie, l’imputabilité de la police est un droit de regard exercé par la société pour établir la vérité sur les actions policières et revêt une importance fondamentale dans le cadre d’une société démocratique. Cette imputabilité est donc une garantie pour l’intégrité et le respect des droits et libertés fondamentales des citoyens lorsque l’action policière vient les compromettre. Cependant, force est de constater que les mécanismes juridiques développés pour contrôler l’action policière sont insuffisants, inadéquats et inadaptés. Ce que nous observons et, par le fait même, critiquons, sont les grandes difficultés qui s’imposent lorsque vient le moment de faire la lumière sur une intervention policière où la force est utilisée. L’impunité semble être la règle lorsque l’action policière laisse des morts et des blessé-e-s derrière elle.
Il n’est pas inexact d’affirmer qu’il existe actuellement une profonde crise de confiance à l’égard de l’institution policière au sein de la population. En effet, de nombreux événements ont par le passé jeté un voile de suspicion sur l’institution policière et la tendance d’intervention en toute puissance qui caractérise les interventions depuis les débuts de l’actuelle grève étudiante ne fait qu’agrandir ce gouffre entre cette institution et la population. Ajoutons à cette crise de confiance le manque flagrant d’impartialité de d’indépendance qui entache les enquêtes que la police mène sur la police à la suite d’interventions où l’usage de la force a malheureusement causé des décès ou des blessure graves. Une véritable réforme des mécanismes d’enquête sur la police est nécessaire et les simples modifications cosmétiques apportées par le projet de loi 46 sont loin d’être suffisantes pour conférer un minimum de crédibilité à ces enquêtes.
Au-delà des contestations juridiques, qui pourront être envisagées, nous sommes d’avis que le meilleure moyen de dénoncer ce fléau, surtout pour nous les juristes, c’est de se présenter aux manifestations pour appuyer et pour dénoncer cette répression.