6 mai 2018 – Une membre de l’AJP, Micheline Brunelle, a eu l’occasion d’assister au colloque international « Perspectives sociales et théoriques sur la vérité, la justice et la réconciliation dans les Amériques », qui avait lieu  à l’Université du Québec à Montréal les 25 et 26 avril dernier. Bilan sur les perspectives actuelles de réconciliation au sein des différentes nations autochtones des Amériques abordées lors de ce colloque. 

– Un texte de Micheline Brunelle

Organisé par le Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) en partenariat avec le Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA), le Réseau québécois en études féministes (RÉQUEF), l’association des Femmes autochtones du Québec (FAQNW) et les départements de sociologie et des sciences humaines de l’UQÀM. Ce colloque a réuni des chercheurs, des membres d’ONG de droits de la personne et d’Organisations de victimes, ainsi que des artistes, politiciens et activistes, autochtones et allochtones.

L’objectif du colloque était de créer un lieu de rencontres et de discussions entre ces différents acteurs pour présenter des pistes de recherche et de réflexions, à la lumière d’expériences et de vécus fort différents les uns des autres, et ayant comme fil conducteur le colonialisme et les gouvernances patriarcales.Huit panels furent proposés sur deux jours et portèrent sur des sujets très riches qui permettaient de faire un bilan sur les perspectives actuelles de réconciliation au sein des différentes nations autochtones des Amériques.

Dans son introduction des panelistes et de la thématique du colloque, Monsieur Rachad Antonius, professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal et membre du CRIEC, mis l’accent sur le fait que les rapports de pouvoir entre l’État et les Autochtones changent car les acteurs autochtones sont aujourd’hui perçus comme une volonté politique et non plus que comme simplement des récipiendaires de la politique étatique.

J’ai pu assister aux panels de la journée d’ouverture qui réunissait des chercheurs universitaires, des artistes-activistes et des politiciens, dont le Chef des Premières Nations du Québec et du Labrador, Monsieur Ghislain Picard; je fus aussi présente à la conférence d’honneur qui accueillait Madame Ellen Gabriel, militante et activiste pour les droits des peuples autochtones , membre de la Nation Kanien’kehâ:ka (Mohawk), clan de la Tortue, et Monsieur Romeo Saganash, député fédéral, membre de la Nation Eeyou (Cri).

Un premier constat : la thématique même de vérité, justice et réconciliation est en partie illusoire : un but à atteindre mais, à ce jour, loin de l’être. Plusieurs commissions ont été mises sur pieds à cet effet. Les États souhaitant, par ce biais, régler l’ensemble des erreurs passées.

Monsieur Ghislain Picard souligna que : avant que ne soit possible une réconciliation entre nos nations, Canadienne et Autochtones, il faut que les premiers concernés, les Premières Nations, les Métis et les Inuits, se soient réconciliés à leur propre passé, qu’ils aient fait la paix avec les traumatismes intergénérationnels subits et qu’ils possèdent les outils et les moyens pour aller de l’avant. Il faut qu’une confiance soit établie – et en ce sens, l’État canadien est toujours coupable d’une grande arrogance, faisant des promesses et les brisant par la suite. Cité en exemple: le projet Kinder Morgan – un point de référence parmi tant d’autres qui maintient et alimente la méfiance.

Une des questions abordées par les différents panels fut celle de comment définir la réconciliation. Une réconciliation qui semble toujours être liée à l’expression des souffrances autochtones et à ne pas la dépasser. Considérant que les principales recommandations faites dans les années 90 n’ont pas encore été mises en œuvre, le gouvernement canadien semble perpétrer des demis­ accomplissements qui enlisent dans un «diagnostique» perpétuel du problème (Martin Hébert, Département d’ Anthropologie, Université Laval). Pour Monsieur Hébert, ce travail sur la mémoire collective autochtone pourrait être vue comme une autre forme d’assimilation de la part de l’État multiculturel canadien.

Madame Lorena Cabnal, Maya Queqchi’-Xinka, féministe et activiste, membre de la Feminista Comunitaria territorial Tzkat-Red de Sanadoras Ancestrales del Feminismo Comunitario desde Iximulew-Guatemala, prit la parole durant la période de questions et partagea que, pour elle, cette réconciliation ne peut être forcée ni imposée. Dans le cas de son pays, le Guatemala, qui est aux prises avec des conflits armés contre ses propres citoyens, et qui connait de graves injustices sociales et de nombreux manquements aux droits humains, cette réconciliation est actuellement une impossibilité.

Impossibilité affirmée aussi par les autres panelistes, spécialistes d’Amérique central et d’Amérique du Sud, faisant état de circonstances différentes, mais tout aussi choquantes. Particulièrement en ce qui a trait à la violence faite aux femmes. Ainsi qu’à  celle perpétrée contre les journalistes et les défenseur.es des droits humains, qui sont impunément enlevé.es et /ou assassiné.es.

Au Pérou, en Colombie, au Honduras et au Chili, les commissions de vérités sont souvent sources de conflits et de luttes de sens, plutôt que sources de paix. Tel l’avança Monsieur David Longtin, Docteur en Sciences politiques à l’Université d’Ottawa, dont la présentation portait sur  « Dire-le-juste et dire-le-vrai en contexte de violence: lutte de sens et circulation de discours au sein des commissions de vérité au Honduras».

Le député Roméo Saganash affirma que pour qu’il y ait une réelle réconciliation, il   faut une mise en action concrète des recommandations faites à la suite de la Commission fédérale canadienne. Monsieur Saganash réitéra que la base de la réconciliation doit passer par l’application des 98 recommandations émises par la Commission vérité et réconciliation du Canada dans son document Appels à l’action (2012). Les articles 43 et 44 de ce document stipulent que l’adoption et la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est nécessaire dans le cadre de la réconciliation. Les Peuples autochtones doivent retrouver leur autonomie, leurs systèmes de gouvernance et obtenir le plein soutien financier du gouvernement pour un accès égalitaire et paritaire à la santé, à l’éducation et à la justice. Ellen Gabriel nous remémora les luttes toujours présentes pour la protection de la terre, de l’eau, pour la survie des droits culturels des peuples autochtones. Elle proposa l’image d’une main tendue vers nous. Saurons-nous bien tendre la nôtre?

Pour plus d’informations:

http://criec.uqam.ca/upload/files/Perspectives_sociales_et_theoriques_sur_la_verite_1.pdf