Le Projet de loi 60: un instrument qui porte atteinte aux droits fondamentaux sans pour autant garantir ni la laïcité ni l’égalité entre les femmes et les hommes

Mémoire présenté à la Commission des institutions chargée d’étudier le projet de loi 60 20 décembre 2013

RÉSUMÉ DU MÉMOIRE

(pour consulter la version complète du mémoire: Mémoire projet de loi 60-AJP)

L’Association des juristes progressistes (ci-après «AJP») prend position contre la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement (ci-après le «projet de loi 60») principalement pour les motifs suivants:

1- Ce projet de loi ne répond pas à une problématique existante au sein de la société québécoise qui commande une intervention de la part de l’état mais découle plutôt de la propagation de certains préjugés, incompréhensions et intolérances qui méritent d’être combattus à travers l’éducation et l’information.

2- Ce projet de loi renferme des dispositions qui sont clairement contraires à la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., chapitre C-12 (ci-après la « Charte québécoise ») ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (ci-après la « Charte canadienne »).

L’AJP est d’avis que les dispositions portant sur la restriction du port des signes religieux, l’obligation de travailler à visage découvert ainsi que les obligations imposées aux travailleuses et travailleurs des services de garde sont contraires à la liberté de religion, la liberté d’expression et le droit à l’égalité protégés par la Charte canadienne et la Charte québécoise et ne sont pas justifiables dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’AJP soumet aussi qu’il n’est pas nécessaire de baliser les demandes d’accommodement puisque la jurisprudence a déjà établi des critères et qu’il n’y a pas de réel problème d’application. Par ailleurs, l’AJP est d’avis que de différencier les demandes d’accommodement en matière religieuse des autres demandes d’accommodement est en soi discriminatoire. De plus, même si la Charte québécoise est amendée pour rendre le projet de loi conforme à cette dernière, le projet de loi doit tout de même passer le test de conformité avec la Charte canadienne, à défaut de quoi il sera invalidé. De plus, la Charte québécoise étant elle-même assujettie à la Charte canadienne, les amendements à celle-ci pourraient être contestés s’ils sont contraires à cette dernière[1].

Mais il y a plus. Ce projet de loi, ainsi que l’orientation annoncée par le gouvernement juste avant son dépôt, ont déjà plongé le Québec dans une crise sans précédent et divisé la population entre non seulement les pro-chartes et les anti-chartes mais entre ceux et celles qui auraient des valeurs dites «québécoises» et les «autres». Avec égards, il serait irresponsable de prétendre que l’adoption d’une telle orientation est étrangère à la montée des incidents xénophobes et islamophobes. Le gouvernement prétend à la neutralité tout en avouant vouloir conserver les éléments qu’il considère comme étant emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel ou qui témoignent du parcours historique du Québec. Or, force est de constater que, selon le gouvernement, ce parcours devrait être épuré de toute diversité et favoriser la religion chrétienne au détriment des autres. Cela est non seulement discriminatoire mais également contraire à la réalité québécoise qui témoigne d’une multitude de croyances et de traditions culturelles. Finalement, l’AJP soumet qu’un gouvernement qui attaque les croyances sincères des minorités est loin d’être neutre.

L’AJP invite donc les députés à respecter les droits fondamentaux de toutes les Québécoises et tous les Québécois et refuser d’adopter un projet de loi qui se plie à la tyrannie de la majorité. Ce projet aura non seulement pour effet d’aller contre la neutralité de l’État eu égard aux religions, mais aura également pour effet d’aller contre l’égalité entre les femmes et les hommes en limitant les possibilités d’emploi pour plusieurs femmes appartenant à une minorité religieuse.

 

[1] Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.